VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Jan Švankmajer,_ VOX, 2012.
Crédits

Jan Švankmajer

2012.06.08 - 08.11

Les allégories politiques de Jan Švankmajer

MARIE. J. JEAN

Jan Švankmajer est un cinéaste d’animation expérimentale qui a entrepris sa carrière dans une structure socialiste rigide et dont l’œuvre est profondément marquée par les changements politiques radicaux qui ont eu cours en Tchécoslovaquie après la Deuxième Guerre mondiale. Il parvient au cinéma par le théâtre de marionnettes et commence sa carrière au Théâtre Semafor de Prague où il fonde le Théâtre des Masques avant de rejoindre en 1962 le célèbre Théâtre Laterna Magika, caractérisé par son approche multimédia et non verbale. C’est dans ce contexte qu’il fait la connaissance décisive d’Emil Radok, lequel l’initie au cinéma. En 1970, il rejoint avec sa conjointe Eva Švankmajerovà, artiste et écrivaine, le groupe surréaliste de Prague. Le surréalisme tchèque se caractérise par ses positions politiques de gauche anti-dogmatiques. Il a été banni dès 1948, suite au putsch communiste, en raison de la publication en 1938 d’un texte de Karel Teige paru dans Surrealismus proti proudu (Surréalisme contre le courant) dans lequel il compare les dictateurs stalinistes aux fascistes. Pour Švankmajer, le surréalisme représente bien davantage une position rebelle anti-totalitaire qu’un courant esthétique.

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Dans son univers filmique, les choses s’animent de manière à produire des environnements étranges et impossibles qui, sur le plan théorique du surréalisme tchèque, visent à restituer la dimension subconsciente de la subjectivité souvent réprimée dans les contextes totalitaires. Byt / The Flat (1968) est exemplaire de cette approche : un homme est jeté à l’intérieur d’un appartement qui se transforme en un environnement hostile. L’homme est ainsi peu à peu réduit à l’impuissance par des objets qui s’animent et mettent en échec toute tentative de retrouver le monde extérieur, lequel demeure par ailleurs inconnu tout comme la raison de sa présence dans ce lieu. Le monde concret de la substance et de la raison perd toute forme d’évidence. Tout ce qui restera de cet homme, appelé Josef, est une signature sur un mur. Souvent on perçoit dans les films de Švankmajer une référence au concept de réification où les relations entre les êtres prennent la forme de relations entre des choses. Le traitement instrumental des individus est aussi le thème de Zahrada / The Garden (1968) qui est un des rares films du réalisateur tchèque où les techniques d’animation ne sont pas exploitées puisque les scènes sont campées dans le monde réel quoique l’effet ne soit pas moins marqué d’étrangeté. Le film s’ouvre sur la vue et le son de deux jets d’urine dans un pot de métal. Deux hommes montent ensuite en voiture pour se rendre à la propriété du conducteur. Ce dernier discute de sa passion du jardinage et semble attendri par la présence de son ami Frank qu’il n’a pas vu depuis de nombreuses années. Ils arrivent à la maison qui est, comme le découvre Frank avec stupéfaction, entourée d’individus. Toutes ces personnes se tiennent main dans la main de manière à former une clôture munie d’une serrure que le propriétaire ouvre, le plus naturellement du monde, pour permettre leur passage jusqu’à la maison et au jardin. Les petits gestes que s’échangent les personnes formant cette étonnante clôture nous informent de leurs diverses relations : amour, jeu, rébellion, dénonciation, résignation. « Why are they there? » finit par demander Frank. La réponse lui est chuchotée à l’oreille et, bien que nous ne l’entendions pas, nous en comprenons la raison qui est plus ou moins toujours la même dans les régimes politiques répressifs.

Les obsessions qui marquent l’enfance sont également un thème récurrent de l’œuvre de Švankmajer. Il réalise le film Do pivnice / Down to the Cellar en 1982 dans lequel le mélange des techniques d’animation – en particulier le stop motion – avec des prises de vue directe ainsi qu’un montage fractionné permettent de rendre palpables les terreurs d’une jeune enfant qui doit descendre à la cave pour aller chercher des pommes de terre. Švankmajer utilise l’animation comme un outil conceptuel redoutable capable d’exprimer les tensions qui existent entre la réalité et la fantasmagorie, entre le langage et la répression, entre l’individu et le politique, entre la liberté et l’autorité. Le régime totalitaire post-stalinien, qui caractérisait alors le communisme tchécoslovaque suite au Printemps de Prague (1968), s’opposera à sa manière d’interpréter la réalité en censurant ses films et en lui interdisant d’en produire de nouveaux pendant sept ans.

Ces trois courts films sont intrinsèquement liés au thème de la liberté et à tous les aspects de l’indignation ou de la rébellion qui y sont subordonnés. À une époque d’agitation sociale et politique, où les grandes structures de pouvoir sont une fois de plus contestées et où la génération émergente tente d’imaginer de nouveaux scénarios sociaux, les allégories politiques de Jan Švankmajer demeurent, encore aujourd’hui, d’une grande actualité.