VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Mathieu Beauséjour_, VOX, 2006. Photo : Michel Brunelle.
Crédits

Mathieu Beauséjour
1 1/2 Métro Côte-des-Neiges

2006.09.09 - 10.21

BERNARD SCHÜTZE

La présente exposition de Mathieu Beauséjour est une relecture, littérale et figurative, de la proclamation du manifeste du FLQ qui fut diffusée sur les ondes de Radio-Canada pendant la crise d’octobre 1970. Bien au fait de la charge encore active et du potentiel terroriste sémiotique de cet événement médiatique particulier, Beauséjour en a manipulé la matière avec soin. Choisissant de réamorcer plutôt que de désamorcer cette bombe télévisuelle, il a entrepris de la déloger de son emplacement historique pour lui élire un nouveau domicile. La salle principale de la galerie, espace aménagé en appartement modulaire, que définissent des volumes mobiliers d’un blanc lustré et des éléments architecturaux rudimentaires, abrite une télévision à écran plat où passe une boucle vidéo de douze minutes. On y voit une femme francophone faisant la lecture du manifeste en anglais. Cette interprétation doublement traduite – une première fois dans le texte écrit, puis par le biais de la voix au fort accent de la speakerine – déracine le manifeste de son sol culturel et brouille le lien politico-linguistique qui est au cœur de cette protestation. La stratégie de dédoublement et de distanciation à l’œuvre dans la performance vidéo n’a aucune incidence en dehors de l’espace moderne atemporel qui en structure la réception en tant qu’événement.

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Comme le titre l’indique, l’espace simulé du 1 1/2 renvoie à une situation de classe et met ainsi le spectateur dans une position de sujet; celle-ci correspond bien au dispositif rhétorique du manifeste qui consiste à s’adresser directement au travailleur ordinaire inscrit dans un emplacement social précis : « … vous, M. Tremblay de la rue Panet… vous, M. Bergeron de la rue Visitation… ». Cependant, le dénuement de l’espace blanc évacue toute référence au quotidien ou à une temporalité quelconque, augmentant ainsi l’ambiguïté ambiante. Dans l’espace adjacent de la mezzanine, trois photographies, chacune au centre d’un vaste fond noir, semblent offrir des repères permettant d’amarrer les éléments laissés en suspens dans la salle principale. Combinant une image originale de cet événement historique médiatique et une photographie en extérieur de l’époque, et concluant la série avec un logo chargé sur le plan sémiotique – unissant les deux premières lettres de l’acronyme FLQ et le logo standard du gouvernement du Québec –, le triptyque établit une dialectique picturale dont le résultat est clairement irrésolu. Cette irrésolution et cette ambiguïté sont davantage soulignées et contrastées par les fonds noirs des affiches et les volumes blancs du 1 1/2 reconstitué. En retravaillant ainsi artistiquement le manifeste, qui associe combat révolutionnaire et libération nationale, et en le réinjectant dans le contexte actuel, Beauséjour pose l’impopulaire question, à savoir si la quête nationale, de plus en plus fondée sur le confort et orientée vers l’État, a encore quelque lien que ce soit avec la libération en général.

L’artiste tient à remercier Nathalie Bujold, Nicolas Côté, Peter Dubé, Dr. Paddy Glackin, James Hollands, Maryse Larivière, Christian Miron, Daniel Olson, Bernard Schütze, l’Atelier Clark, Pavillon Projects, le Conseil des Arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec.

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