VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition _Trevor Gould. Philosophy’s Self Image_, VOX, 2017.
Crédits

Trevor Gould
Philosophy’s Self Image

2012.09.07 - 10.13

DOMINIQUE FONTAINE

L’exposition s’organise autour des œuvres récentes de Trevor Gould. Elle présente des sculptures, des aquarelles et une vidéo. Cet ensemble d’objets et d’œuvres offre une nouvelle manière d’appréhender la pratique de Gould, qui se révèle, en particulier, dans le vaste choix de thèmes et de méthodologies dont il fait usage pour mettre en relief notre sens de l’humanité en relation avec la nature.

Le XIXe siècle en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, selon ce qu’écrit John Berger dans Why Look at Animals ?1, a assisté à la naissance d’un processus – en voie d’être achevé par le capitalisme – au cours duquel toutes les traditions autrefois négociées entre l’humain et la nature ont été rompues. S’inspirant des œuvres d’art de ce siècle et de la théorie de l’évolution de Charles Darwin, Philosophy’s Self Image établit des parallèles entre la méthode inductive d’investigation scientifique de Darwin et la formation d’une hypothèse. L’exposition fait référence au code allégorique des traditions picturales occidentales, qui inscrit les animaux dans des contextes humains et des dispositifs d’exposition. La reconsidération de la relation entre humain et animal que suggère Gould fait également référence à la statuette Darwin : Eritis Sicut Deus (Darwin : vous serez comme Dieu), aussi connue sous le nom Affe einen Schädel betrachtend (Singe contemplant un crâne humain ou Singe de Darwin [1892]) de Hugo Rheinhold, et à certains tableaux de Gabriel von Max.

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Philosophy’s Self Image propose donc une trajectoire nouvelle dans le travail de Gould, inaugurant une étape inédite dans sa démarche. Alors que dans la plupart des installations antérieures, l’artiste s’était approprié des dispositifs muséologiques – diorama, taxidermie, présentation théâtrale, documents d’archives – interrogeant ainsi notre rapport à la nature, son travail récent se fonde sur le potentiel réflexif et spéculatif de la philosophie. Il invite à une méditation métaphysique sur notre présence au monde.

Un élément central de l’exposition est la vidéo documentaire tirée de l’installation Balancing Act, série de sculptures installée dans l’enclos des orangs-outans du zoo de Toronto en 2011. Ce dispositif se présentait comme une réflexion sur le passage du temps (passé, présent, futur), une expérience in situ, une zone de contact ou un mode d’interaction avec les orangs-outans. L’utilisation d’éléments sculpturaux allégoriques permettait à Gould d’accéder au monde des animaux pour tenter de comprendre ce qui suscite leur intérêt, les anime et les motive. La vidéo issue de Balancing Act montre les orangs-outans en interaction avec les éléments sculpturaux, nous permettant d’explorer ce qu’on pourrait appeler une phénoménologie animale. Elle offre une nouvelle con-ception de nos rapports avec les animaux et invite le spectateur à considérer d’un point de vue autre les relations entre humains et animaux.

L’intérêt marqué de Gould pour la philosophie est à la base des œuvres de l’exposition Philosophy’s Self Image. À l’instar de son travail antérieur, il s’intéresse à la cartographie intérieure qui oriente et communique nos actions et notre sentiment de présence dans le monde. Du processus constructif aux explorations interprétatives, Gould privilégie des thèmes récurrents comme l’appropriation, le pouvoir et la représentation. Il aborde donc des enjeux liés à notre connaissance et à notre compréhension de l’espace culturel. En tant que tel, le travail de Trevor Gould peut être interprété comme une exploration de la manière dont les images et les objets représentent les croyances, les attitudes et les valeurs de notre histoire sociale.

Comme le corpus d’œuvres précédent, les travaux récents incarnent les observations de l’artiste sur le transfert de motifs culturels et l’appropriation de formes, ou un point de vue à partir duquel il est possible de contempler la géographie, l’histoire et les traditions culturelles. Les motifs récurrents, tel le singe, servent de métaphore à des emplacements géographiques et représentent la domination d’une culture sur une autre. Dans la plupart de ses installations, Gould s’approprie le dispositif d’exposition et, ce faisant, il met en question le rôle de l’institution et la persistance des symboles impérialistes. Trevor Gould s’est longtemps inspiré du symbolisme de diverses flores et faunes évoquant la relation nature/culture pour explorer des enjeux liés au colonialisme, au postcolonialisme et à la formation de l’identité. Le zoo, l’un des derniers monuments du pouvoir colonial au XIXe siècle, est un exemple éloquent de la manière dont nous négocions notre rapport à la nature.

Au-delà de la façon dont nous pensons nos relations avec les animaux et entrons dans leur monde, Gould nous incite à réfléchir, à ressentir autrement et à nous pencher sur certaines questions esthétiques et artistiques, en les considérant en termes politiques. Ainsi que le souligne le philosophe français Jacques Rancière dans Le partage du sensible : esthétique et politique, les catégories de l’esthétique et du politique sont reliées par ce qui est sensible :

« J’appelle partage du sensible ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, de temps et des formes d’activités qui détermine la manière même dont un commun se prête à participer et dont les uns et les autres ont part à ce partage2. »

  1. John Berger, Why Look at Animals ?, Londres, Penguin Books, 2009.

  2. Jacques Rancière, Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La fabrique éditions, 2000.