VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition _Jean-Marie Delavalle_, VOX, 2014. Photo : Michel Brunelle.
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Jean-Marie Delavalle

2014.11.15 - 2015.02.21

CLAUDINE ROGER

Artiste reconnu avant tout pour ses œuvres monochromes sculpturales et picturales, Jean-Marie Delavalle a également tenté quelques expérimentations : entre 1970 et 1975, il réalise un corpus restreint d’œuvres conceptuelles qui, loin d’être éclectique, découle d’une recherche rigoureuse, axée sur la couleur et sur la perception. Ses travaux témoignent d’une pratique originale et résolument ouverte sur le plan esthétique.

Un essai sur / an essay on Jean-Marie Delavalle par / by Claudine Roger, 2014.

Finissant de l’École des beaux-arts de Montréal, Jean-Marie Delavalle a fait ses débuts à l’été 1967, au pavillon de la Jeunesse de l’Exposition universelle, un événement catalyseur qui bouleverse profondément la vision qu’a la société québécoise du monde et d’elle-même, et qui apporte un souffle nouveau aux pratiques artistiques d’ici. Son travail est remarqué quelques mois plus tard, lors de l’exposition collective Huit jeunes sculpteurs actuels, présentée à la Galerie du Siècle à Montréal1. Suite au succès critique de cette exposition, la Galerie nationale du Canada organise, en 1969, une exposition itinérante intitulée 7 sculpteurs de Montréal, qui atteste de l’émergence d’une nouvelle « scène » artistique québécoise2. Jean-Marie Delavalle présente là deux premières sculptures en acier peint, de facture minimaliste. Au même moment, l’artiste s’inspire des tendances nouvelles et internationales en laissant une grande place au concept. Il réalise des propositions de nature conceptuelle, comme en font foi ses cahiers de notes, qui regroupent de nombreuses idées, des projets non réalisés et les œuvres ici exposées.

Dès l’été 1970, l’artiste privilégie la photographie et produit, notamment, une suite d’images sur le mouvement des vagues, puis des photographies incorporant des unités de mesure avec certains éléments (fenêtres et bancs de neige), des autoportraits et, finalement, des séries portant sur divers moments de la journée. L’artiste intègre, à ce moment, différentes variables relatives à la lumière, au lieu, au temps, mais aussi aux spécificités de l’appareil photographique et à ses emplois (mise au foyer, film infra-rouge, filtre de couleur, etc.). Il conçoit alors une grande œuvre intitulée The Quebec Filter, qui réunit, en deux cent cinquante-six diapositives, six phases de notations photographiques, toutes réalisées à partir de la fenêtre de son appartement.

Les six suites qui composent cette série traitent du même sujet, soit « le regard que l’artiste porte sur la réalité extérieure, dans les variations d’intensité lumineuse, de couleur et de formes qui la composent3 ». L’action est systématique et révèle une méthodologie de travail propre à Delavalle : le sujet est identique ; le cadrage, fixe ; la mise au point, progressive ; et le processus, répété quatre ou huit fois, selon les suites. Le mode de présentation, la projection, vise aussi à accentuer la luminosité de l’œuvre, comme le précise l’artiste : « […] I like the slide image better than the print. It is much stronger. It is pure light and color4 ». The Quebec Filter (« Screen no. 2 » et « Screen no. 3 ») nous plonge dans la contemplation rythmée d’un champ perçu à travers la grille d’une moustiquaire, tel que vu lorsque la mise au point de l’appareil photographique est modifiée. Se pencher sur cette succession d’images exige, encore aujourd’hui, une attention à tout instant. Les variations sont subtiles, souvent floues, et confèrent à l’ensemble un effet plutôt atmosphérique, et même apaisant.

En février 1971, Jean-Marie Delavalle prend part à l’exposition 45° 30′ N – 73° 36′ W5, présentée aux Sir George Williams Art Galleries et au Centre des arts Saidye Bronfman à Montréal, en y dévoilant une première série de photographies de vagues. L’automne suivant, l’artiste expose simultanément différentes suites tirées de The Quebec Filter : à la VIIe Biennale de Paris, où il représente le Canada ; à la Galerie de l’Étable du Musée des beaux-arts de Montréal ; lors de l’exposition Cozic-Delavalle, mise en circulation par la Galerie nationale du Canada ; au Festival international d’art contemporain de Royan, en France, où Delavalle est le représentant du Québec. Toutefois, c’est réellement à l’été 1973, lorsque la Galerie nationale du Canada présente The Quebec Filter et l’autoportrait intitulé Bleu, jaune, rouge, vert dans l’exposition Boucherville, Montréal, Toronto, London, que l’importance de l’œuvre de Jean-Marie Delavalle est reconnue. Sélectionné parmi les artistes canadiens de l’époque, il reçoit pour l’originalité de son travail un accueil enthousiaste, que lui réserve tant la critique que le grand public6.

Entre 1973 et 1975, l’artiste élargit ses expériences, purement visuelles, avec des œuvres sonores en réalisant une série de transcriptions lors de différentes promenades (en voiture, à vélo, à pied). Les pièces 1 heure (marche), 1 heure (vélo) et Clonk, rassemblées à la Galerie Média à Montréal en novembre 1973, signalent un changement de sensibilité, ou d’attitude, face à la contemplation traditionnelle de l’objet d’art. Les enregistrements sont présentés sous la forme de bandes sonores, de cartes, de photographies et comptent aussi un disque (Une demi-heure, 33 tours). Ces objets (incluant la bicyclette de l’artiste !) deviennent les « documents », ou les traces, d’une expérience artistique ; pour en saisir toutes les subtilités, la participation du visiteur est essentielle.

En limitant les indices visuels au sein de ses différentes interventions et, plus tard, dans ses surfaces monochromes, peintes sur aluminium, Jean-Marie Delavalle laisse place à l’imagination du spectateur et l’oblige, durant un instant, à saisir la « réalité environnante ».

  1. Ces jeunes sculpteurs (Jacques Cleary, Serge Cournoyer, Jean-Marie Delavalle, Claire Hogenkamp, Jean-Claude Lajeunie, Jean Noël, Serge Otis et Roger Paquin) repoussent les procédés traditionnels en intégrant à leurs œuvres des traitements et des matériaux industriels et remettent ainsi en cause la « définition même de la sculpture ». Francine Couture (sous la dir.), « Technologies et art québécois 1965-1970 », Cahiers du Département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, printemps 1988.

  2. L’exposition regroupait les travaux de Serge Cournoyer, Yvon Cozic, Jean-Marie Delavalle, Jean Noël, Serge Otis, Serge Tousignant et Roger Vilder. Voir, à ce sujet, Danielle Corbeil, « 12 Young Montreal Artists: An Interview », artscanada, no 140-141, février 1970, p. 32.

  3. Catalogue de la VIIe Biennale de Paris, Paris, [ s.n.], 1971, p. 220.

  4. Propos de l’artiste extraits de l’article de Michael White, « Two Montreal Artists Exhibiting in Paris », The Gazette, 28 août 1971, p. 42.

  5. Organisé par Gary Coward, Arthur Bardo et Bill Vazan, cet événement est considéré comme la première exposition de nature conceptuelle au Québec. Il est vu, aussi, comme le catalyseur ayant mené à la création de Véhicule Art, tout premier centre d’artistes autogéré du Québec. Jean-Marie Delavalle est l’un des fondateurs de cette coopérative, incorporée en 1972.

  6. L’exposition organisée par Brydon Smith et Pierre Théberge présente la situation de l’art au Canada en 1973 à partir d’œuvres de six artistes (Robin Collyer, Jean-Marie Delavalle, Murray Favro, Ron Martin, Henry Saxe et James B. Spencer), qui ont « produit les œuvres les plus originales et les plus réussies parmi celles de tous les artistes visités » (Brydon Smith et Pierre Théberge, Boucherville, Montréal, Toronto, London, Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1973, p. 11).