VOX — Centre de l’image contemporaine

Dorion Berg_, ASCI Alphabet_, 1999, vidéo, 5 min. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Crédits

La vie en temps réel. Mode accéléré

2001.12.13 - 2002.03.03

ÉLÈNE TREMBLAY

L’assujettissement de l’humain et de son environnement au profit d’une vitesse toujours plus grande n’est pas un phénomène nouveau mais il a connu depuis ces dernières décennies, une accélération fulgurante. Nous ne réalisons même plus à quel point le façonnement de l’espace urbain, de l’espace de l’échange, de la communication et de nos outils de travail dans le but de favoriser la vitesse, affecte nos vies. Notre rapport au temps, à l’espace et aux autres s’en trouve constamment modifié.

Comme l’a soulevé Paul Virilio dans Cybermonde, la politique du pire, la possibilité d’un temps réel, survenue lors de la création de l’Internet et de la cotation automatique en bourse, provoque proportionnellement un rétrécissement du territoire et une disparition du temps local. Des continents éloignés et leurs habitants paraissent à notre portée et pourtant, les retraits et investissements de capitaux se font de manière abstraite, au détriment de la reconnaissance de leurs effets sur les populations. Ce temps réel élimine la différence, le décalage et les délais et soumet le monde entier à l’hégémonie de ce chronomètre. Vivre sans agenda et sans tous les outils technologiques aujourd’hui disponibles, comme le fait une grande partie de l’humanité, paraît inimaginable à ceux qui sont engagés dans cette course contre la montre. L’hégémonie de la vitesse s’est installée. Les autoroutes, qu’elles soient de béton ou électroniques, permettent une circulation rapide de biens et d’informations et en ce sens, sont les plus sûrs alliées du pouvoir.

Journal VOX 01 - La vie en temps réel. Mode accéléré

Aborder la question de la vitesse par le biais principal de l’image fixe peut sembler paradoxal. La photographie ayant été inventée et popularisée à peu près au même moment que l’automobile, elle paraît vouloir immobiliser le mouvement accru causé par l’industrialisation et l’urbanisation grandissante. Mais son usage massif, sa rapidité d’exécution, son omniprésence joue un rôle de plus en plus important dans l’accélération du rythme de la consommation.

Dans les villes et dans le cyberespace, le vertige du nombre se combine à celui de la vitesse. Les grandes surfaces, les mégastationnements, les autoroutes, le commerce électronique, le cinéma maison, les cellulaires, les ordinateurs portatifs sont autant d’outils et de structures favorisant la vitesse au travail comme dans les loisirs. Le stress engendré par le rythme à soutenir devient un élément courant de la vie quotidienne.

Si au travail nous devenons plus productifs et performants, nos corps, eux, s’immobilisent tandis que notre système nerveux s’emballe. Pouvoir faire plus en moins de temps ne laisse pourtant pas plus de temps libre. Il y a belle lurette que nous savons que ce rêve, déjà ancien, a perdu toute réalité. En fait, il reste si peu de temps libre dans nos journées que nous devons consommer, nous divertir et nous informer à toute vitesse. La course folle de la productivité et de la compétitivité déborde sur tous les champs de l’activité humaine.

Nous retrouvons dans cette exposition des oeuvres mettant en lumière tant cette question du vertige de la vitesse que celle du vertige du nombre, un vertige perceptible dans les espaces et les technologies créés pour les accueillir ainsi que chez leurs utilisateurs. Dans ce monde étouffant, rapide et dense entrevu dans les travaux d’Isabelle Grosse, Thomas Kneubühler, Matthias Hoch et Dorion Berg, viennent se glisser les voix de Yudi Sewraj et de Nicolas Baier, proposant dans leurs oeuvres un retour à l’humanité, un contrepoint, une porte de sortie du manège étourdissant de la vie en mode accéléré.