VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition L'Imaginaire radical : le contrat social montrant Agency, VOX, 2018.
Crédits

L’imaginaire radical : le contrat social

2018.09.13 - 12.15

Notes

Cabinet de lecture
Nina Beier, John Boyle-Singfield, Étienne Chambaud, Maria Eichhorn, Andrea Fraser, arkadi lavoie lachapelle et Jean-Frédéric Ménard, Kelly Mark, Nadia Myre et Le Club des Gentilshommes Avertis.

L’artiste, le droit et le contrat
Le contrat d’artiste est en usage depuis le Moyen Âge et visait, à l’époque, à clarifier les responsabilités de l’artiste et du commanditaire dans l’élaboration d’une œuvre. Aujourd’hui, la nature du travail de l’artiste est devenue un enjeu entier. En se transformant, elle a complexifié le statut de l’œuvre d’art et, par conséquent, sa fonction légale : l’artiste est propriétaire de son œuvre, qu’il peut vendre ou dont il peut concéder la production à un tiers ; il est un travailleur susceptible d’être rémunéré lorsqu’il réalise un projet spécifique pour une institution ou un collectionneur ; il est aussi un travailleur intellectuel qui peut revendiquer des droits d’auteur pour la conception et la diffusion de son œuvre.

Le cabinet de lecture réunit des documents historiques et légaux, des essais et des ouvrages portant sur le contrat d’artiste et le droit d’auteur ainsi que des œuvres qui en détournent les usages.

L’imaginaire radical : le contrat social est le premier projet d’une série d’expositions qui porte sur l’Institution et son histoire et qui vise à faire comprendre comment les artistes se sont associés ou opposés à celle-ci pour peu à peu faire infléchir ses positions. L’intention est d’observer une pratique singulière de critique institutionnelle qui conçoit l’Institution (le système judiciaire, l’université, l’économie, etc.) comme un ensemble de formes processuelles, en transformation continue.

Le système judiciaire est l’institution observée dans ce premier volet. Les œuvres présentées mettent en question les outils et les concepts juridiques – règles, procédures, contrats, jurisprudence, procès – afin de révéler comment ils agissent sur l’art, son système et ses acteurs, tout en transformant les règles du jeu social. Non seulement les artistes s’approprient-ils les dispositifs juridiques, rendant manifeste leur dimension éthique ou politique, mais ils étudient aussi les codes invisibles qui les régissent – tels les enjeux entourant la propriété intellectuelle –, et qui transforment inéluctablement leur travail et les institutions dans lesquelles ils évoluent.

MARIE J. JEAN

Estimant que la Cour pénale internationale n’a pas fait son travail face à la guerre civile qui perdure depuis vingt ans au Congo, Milo Rau n’hésite pas à tenir à Bukavu un tribunal où plaident des avocats et où comparaissent des victimes, des témoins, des bourreaux ainsi que des membres du gouvernement, de l’armée, de groupes rebelles et d’ONG, tous des protagonistes réels de cette tragédie humaine. Car bien que cette guerre ait fait plus de six millions de victimes, les Congolais restent aujourd’hui tenus dans un état d’impunité puisqu’aucun crime de guerre commis n’a fait l’objet de poursuite judiciaire. Qu’est-ce qui détermine ainsi un artiste à imaginer une telle mise en scène en s’appropriant l’outillage conceptuel et politique du système judiciaire ? Milo Rau est catégorique : son théâtre ne vise pas à « critiquer stérilement les politiques ou les institutions » ; il ne vise rien de moins qu’à les « changer ». Or, même si ce procès a été réalisé à partir de véritables témoignages – les protagonistes interprétaient leur propre rôle devant mille spectateurs venus les entendre –, il n’a pas force de droit. Pourtant, ses répercussions sont considérables, et cela parce que le Tribunal sur le Congo (2017) a permis de révéler que ce conflit barbare est la conséquence de l’exploitation de matières premières – l’or et le coltan – par des multinationales qui ont intérêt à ce que rien ne change, dans cette région de l’Afrique, pour mieux profiter de la croissance d’une industrie technologique, celle de la téléphonie mobile, dans une économie mondialisée.

L'imaginaire radical - A posteriori 19

Le Tribunal sur le Congo nous confronte à l’absence d’institutions juridiques internationales et de structures de régulation économique efficaces pour protéger la justice et les droits des Congolais. Si Milo Rau utilise la forme du procès, souscrivant à sa logique opératoire, c’est pour produire un « imaginaire radical », au sens qu’en donne Cornelius Castoriadis, c’est-à-dire un processus de création continu, producteur de nouvelles significations imaginaires, susceptible de transformer les positions institutionnelles. L’imaginaire radical fait ainsi surgir des savoirs ouverts, toujours en train de se faire, à partir de deux mouvements généralement caractérisés par une tension : d’abord l’exigence de « lucidité critique », ensuite la « fonction imaginaire créatrice ». Il s’agit d’un processus dans lequel l’individu, créant et faisant constamment émerger des positions critiques et des réalités nouvelles, est lui-même transformé par ce qu’il modifie ; en conséquence, l’horizon de l’institution dans lequel il agit se trouve modifié. C’est à un comparable imaginaire radical que chacun des artistes de la présente exposition soumet la Justice, en scrutant d’un regard lucide ses implications éthiques et politiques.

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Cette exposition est réalisée avec la précieuse collaboration de la galerie LABOR, la Paula Cooper Gallery, la collection de Patrick et Lindsey Collins, les Walter and McBean Galleries du San Francisco Art Institute, l’Établissement Warkworth, MAGNETFILM, Pointe-à-Callière, Artexte, Lisa Bouraly et Beat Reaber, Galerie.

VOX s’associe aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) pour coprésenter deux films de leur édition 2018 ! Ces longs-métrages sont intimement liées tant à la thématique qu’aux œuvres de l’exposition L’imaginaire radical : le contrat social.

Stealing Rodin (2017) de Cristóbal Valenzuela – sur le vol d’une célèbre sculpture par un jeune étudiant en arts et le procès singulier qui s’en suivit – sera présenté les vendredi 16 (Cinéma du Musée au MBAM, 17 h) et dimanche 18 novembre (Cinéma du Parc, 18 h 15).

The Proposal (2018) de Jill Magid – dont l’installation du même nom est exposée jusqu’au 15 décembre à VOX – sera présenté les vendredi 16 (Cinémathèque québécoise, 16 h 30) et samedi 17 novembre (Cinéma du Parc, 20 h 15).