VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Roy Arden : Œuvres choisies 1985 – 2000_, VOX, 2002. Photo : Denis Farley.
Crédits

Roy Arden
Œuvres choisies 1985 - 2000

2002.08.29 - 10.27

MARNIE FLEMING

Toute réflexion sur la ville passe par l’affirmation de ses aspects conflictuels : contraintes et possibilités, calme et violence, rencontres et solitude, unions et séparations, trivialité et poésie, fonctionnalisme brutal et improvisations étonnantes1 . – Henri Lefebvre

S’il est vrai qu’on doive choisir entre l’éthique et l’esthétique, quelle que soit celle qu’on choisit, on finit toujours par rencontrer l’autre en bout de piste. Car la définition de la condition humaine réside dans la mise en scène elle-même2 . – Jean-Luc Godard

Les œuvres de Roy Arden, par leur contenu et leur mise en scène, font ressortir les « aspects conflictuels » tant de la vie urbaine que de la vie de banlieue. Les nombreux lieux que l’artiste a choisi de photographier font allusion à la rapidité des changements technologiques en Colombie-Britannique ainsi qu’à leurs coûts humains – on est loin des images idylliques des brochures touristiques. Sa description prosaïque de l’environnement attire l’attention sur la précarité de la structure sociale, dont les retournements parfois brutaux peuvent transformer du jour au lendemain des gagnants en perdants. On pourrait considérer la pratique de l’artiste comme une étude de cas sur la façon dont la réalité d’un milieu familier peut constituer un laboratoire valide de production artistique, production dont la résonance est mondiale même si elle se fonde sur la sphère du vécu.

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L’exposition débute avec des œuvres remontant à 1985, où Arden utilise des archives d’événements historiques afin d’examiner le rôle de la photographie dans la construction de la mémoire et de l’histoire. Dans des œuvres telles que Rupture et Abjection, il emploie une structure binaire, jumelant des images d’archives avec des photographies monochromes. Rupture est constituée de photographies de journaux sur l’intervention policière de 1938 à Vancouver – le tristement célèbre « Bloody Sunday » –, et de photographies montrant un ciel bleu. Abjection présente des images d’archives de la détention des Nippo-Canadiens et de l’expropriation de leurs biens par le gouvernement du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ces tristes documents sont jumelés à des images entièrement noires constituées de papier photographique impressionné. Les deux œuvres explorent la nature ontologique ou fondamentale de la photographie tout en jouant le rôle d’un nouveau type de peinture d’histoire. Toutefois, contrairement aux peintures d’histoire du passé, ces œuvres proposent une remise en question plutôt qu’une affirmation de l’histoire officielle.

À partir de 1990, Arden cesse d’utiliser des documents d’archives et entame une nouvelle série de photographies en couleurs portant sur ce qu’il appelle le « paysage de l’économie ». Revenant au rôle de « photographe », il examine l’aspect au quotidien d’une ville et de ses environs. Il explique sa démarche en ces termes : « Ce projet constitue une tentative de ma part de rendre compte des effets de transformation attribuables à la modernité tels qu’ils se révèlent dans un rapport quotidien au paysage. » Dans les images de dépossession que constituent Cordova Street, Vancouver, ou Locked-out Workers, Vancouver, B.C., nous pouvons percevoir une continuité avec les thèmes qui caractérisaient les œuvres des années 1980, fondées sur des documents d’archives.

Si des photographies telles que Pulp Mill Dump, Nanaimo, B.C. rappellent le travail de Robert Smithson et que d’autres, comme Landfill, Richmond, B.C., évoquent les paysages désolés d’Antonioni ou de Robert Adams, c’est parce qu’Arden s’est très consciemment inspiré de l’histoire de la photographie, du cinéma et de la peinture tout autant que de son expérience personnelle en Colombie-Britannique: « Dans ces œuvres, j’ai également voulu explorer et formuler un réalisme alimenté par ma compréhension de la tradition. Je me suis inspiré d’artistes aussi divers que Dürer, Købke, Atget, Walker Evans, Robert Smithson et Pasolini. Je considère l’histoire de l’art comme un coffre à outils rempli de tropes, de stratégies et de mécanismes au moyen desquels je peux interpréter ma propre expérience. »

Basement constitue une suite de photographies en couleurs et en noir et blanc qui ont été réalisées dans le sous-sol de l’immeuble où vivait Arden. L’endroit avait servi pendant près d’un siècle de pièce de travail pour le concierge et de remise pour les biens des locataires et les objets dont ils ne se servaient plus. Arden voyait cette pièce comme un « musée des rebuts » et désirait construire une image à la fois allégorique et réaliste du sous-sol en utilisant des grilles marxistes et freudiennes : « Je m’intéressais tant à la charge psychologique et libidinale de l’endroit qu’à sa fonction matérielle de soutien de la vie évoluant au-dessus. Je ne tentais pas de produire des compositions singulières et ingénieuses, mais j’essayais plutôt de créer un effet de balayage, comme lorsqu’on cherche quelque chose au moyen d’une lampe de poche. » Comme dans d’autres œuvres, en faisant appel à la couleur et au noir et blanc, Arden s’efforce de faire en sorte que les images ne soient pas reçues comme des documents transparents en attirant l’attention sur l’aspect fictif de toute photographie.

Dans de récentes œuvres en noir et blanc comme House on Alley, 6th Ave., Arden poursuit son exploration du « paysage de l’économie » en privilégiant la forme au détriment de la surface. Volvo Engine, San Pedro (#1) et d’Elegance (#1) abordent toutes la réalité matérielle du moteur à combustion interne, d’où leur parenté avec Abjection, une œuvre antérieure.

Récemment, Arden a élargi sa pratique pour s’intéresser à la temporalité de la vidéo en relation au processus insaisissable du flux et du changement. Dans Juggernaut, nous voyons et entendons l’intérieur d’un moteur de voiture lorsqu’il tourne au ralenti ou accélère. L’image a une force hypnotique, évoquant des organes corporels et un toussotement « postillonnant ». Citizen met l’accent sur le mouvement dialectique, la complexité, les conflits et les contradictions. Le « citoyen » est assis sur le terre-plein central d’une importante voie de circulation, indifférent aux automobilistes qui passent de chaque côté. La caméra, placée dans une voiture qui effectue une trajectoire circulaire autour du sujet, est braquée sur lui. S’ensuit alors une danse entre le « citoyen », la circulation automobile et la caméra/voiture qui relève presque de la prédation. Le traitement de l’image numérique contribue à la fois à ralentir et à exagérer cette scène en boucle, donnant lieu à un flux ininterrompu de temps et d’espace.

Dans ses œuvres, Arden explore des positions et des lieux autres ou situés hors des schèmes dominants. Il cherche à faire prendre conscience de l’existence d’un vocabulaire photographique riche et empreint d’histoire, et sa vision nous rappelle la nécessité de faire preuve d’imagination et de rigueur intellectuelle pour réfléchir au quotidien et au vécu.

L’exposition Roy Arden : Œuvres choisies 1985 – 2000 a été organisée par la Oakville Galleries, et s’est déroulée du 2 février au 7 avril 2002. Le catalogue qui accompagne l’exposition est également produit par la Oakville Galleries.

  1. Henri Lefebvre, Writings on Cities, traduit et présenté par Eleonore Kofman et Elizabeth Lebas, Oxford, Blackwell Publishers, Inc., 1996, p. 53.

  2. Cité dans Susan Sontag, « Godard », A Susan Sontag Reader, introduction par Elizabeth Hardwick, New York, Random House, Inc., 1982, p. 235.

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