VOX — Centre de l’image contemporaine

 Vue de l'expositionn _La répétition mise à l’épreuve_, 2016, VOX.
Crédits

La répétition mise à l’épreuve

2016.09.01 - 11.26

VOX, centre de l’image contemporaine, la Galerie Leonard & Bina Ellen et SBC galerie d’art contemporain accueilleront à l’automne 2016 un événement majeur intitulé La répétition mise à l’épreuve complété par un programme de films présenté à la Cinémathèque québécoise et à VOX. Les trois commissaires de l’exposition, Sabeth Buchmann, Ilse Lafer et Constanze Ruhm, réuniront plus de cinquante artistes de la scène internationale, qui examinent un ensemble de positions et de stratégies en art contemporain où la répétition est envisagée à la fois comme sujet et comme pratique. Si le thème de la « répétition » est fréquemment abordé au cinéma et au théâtre, de même que dans le domaine des beaux-arts, il est rarement pris en considération en histoire de l’art ou dans le discours sur l’art contemporain. C’est dans cette optique que l’exposition La répétition mise à l’épreuve interroge le rôle et la fonction de la notion de « répétition », conçue à la fois comme une méthodologie, un modus operandi et un médium, ainsi qu’un site de représentation et de réflexion pour les processus de production artistiques.

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En cours de production : l’image post-dramatique

SABETH BUCHMANN, ILSE LAFER ET CONSTANZE RUHM

Si le thème de la « répétition » (rehearsal) est fréquemment abordé non seulement au cinéma et au théâtre, mais aussi dans le domaine des beaux-arts, il est rarement pris en considération en histoire de l’art ou dans le discours sur l’art contemporain. C’est dans cette optique que l’exposition interroge le rôle et la fonction de la notion de « répétition », conçue à la fois comme une méthodologie, un modus operandi, un médium et un lieu de représentation et de réflexion pour les processus de production artistique.

Le concept d’image post-dramatique, qui s’inspire de la notion de théâtre post-dramatique, est fondé sur la présence implicite d’un dispositif que l’on expérimente par des variations, des additions, des retards, des interruptions, de nouveaux départs, des ruptures ou des failles, entre autres. Vues sous cet angle, les dimensions picturales et narratives se rencontrent autour d’une structure ou d’un script performatif s’inscrivant dans un système déterminé de (re-)signification et de (re-) interprétation qui remplace le concept de l’image unique, individuelle et hermétique par un ensemble de paramètres et de relations (esthétiques, historiques ou sociales) qui brouillent la distinction entre le contenu et la forme, le sujet et la méthode. Cette conception de la « répétition » offre en outre la possibilité de (ré-) intégrer la spontanéité, un « sens de la situation », des variations d’humeur, etc., dans le processus de la peinture, amenant ainsi celui-ci au-delà d’un semblant d’authenticité et d’expression individuelle.

De la même façon, la « répétition » peut prendre la forme d’une méthodologie artistique qui est non pas racontée, mais intégrée à (l’auto-) réflexion inhérente au médium et au processus de la peinture en tant que tel. Les œuvres de Heike-Karin Foell, de Jutta Koether et de Silke Otto-Knapp adoptent une méthodologie de la répétition qu’elles emploient non pas de façon narrative, mais plutôt dans le cadre (littéralement) du tableau – en particulier par l’élaboration répétée de constellations « abstraites » et « figuratives » qui se répondent, tout en ayant recours à une approche des médiums, des genres, des motifs, des structures et des gestes. Le spectateur est confronté à une multiplicité de (re-) commencements et d’interruptions soudaines – comme c’est le cas dans les tableaux de Merlin Carpenter – qui jouent ouvertement avec ces élans brusquement interrompus, et remettent en cause la différence entre les œuvres « inachevées » et « achevées » (voir Galerie Ellen). Bien que ses thèmes et ses méthodologies s’inspirent des relations entre transformations sociales, culturelles et techniques, Tanja Widmann aborde la question de « l’inachevé » en tant que « fins ouvertes » qui mènent à de nouvelles idées et à de nouveaux contenus. À partir d’une série d’images abstraites inspirées par la lettre O, son installation associe le geste pictural avec la rhétorique du numérique. En abordant les modes de transformation de l’information, l’artiste s’intéresse au rapport entre langage verbal et langage visuel au sein de pratiques de l’imitation, de l’appropriation et du remix. Le travail de Widmann se rattache également aux procédures de tests performatifs, inhérentes aux appareils qui régentent notre prosommation quotidienne.

Les modes d’énonciation artistique mentionnés ici sont également influencés par les codes historiques : c’est le cas avec l’installation filmique de Mathias Poledna, qui évoque l’année 1979 en tant que moment charnière dans la musique pop et la culture des jeunes de l’époque (entre post-Punk et New Wave). Ainsi, chez Widmann comme chez Poledna, les « vides » produits par les interruptions répétées du rythme permettent de mieux discerner les règles qui, tout en gouvernant la structure interne de l’œuvre, affectent également le processus de réception. Comme dans les peintures de Koether et d’Otto-Knapp, le motif de type ornemental et les groupes de personnages opèrent à la façon d’un ensemble en répétition, composant ainsi des superpositions de « tableaux » esthétiques et sociaux (Foucault). Par l’accumulation de matériaux pour les peintures à venir, la répétition représente aussi un procédé rétroactif. Suivant une stratégie à la fois différente et similaire, Widmann reproduit les codes de la mémoire numérique pour en détourner la fonction. En créant des allégories de la mémoire qui échouent à proposer des références reconnaissables au passé, l’assertion du contemporain apparaît comme une projection spéculative fondée sur la discontinuité et la contingence.

Dans l’installation d’Eva Meyer et d’Eran Schaerf, intitulée Pro Testing (2010), le concept d’ensembles temporaires devient à la fois une manifestation d’une répétition et, inversement, la répétition d’une manifestation, ainsi que le suggère le titre. Or c’est précisément la répétition qui provoque l’émergence des sujets politiques ; c’est en testant les règles du jeu que l’on que l’on obtient véritablement un « produit performatif », lequel s’avère à son tour être une répétition d’interactions sociales. Ceci met à contribution les principales caractéristiques des récits allégoriques : l’appropriation, la répétition et la métonymie. Sans oublier les trois termes centraux autour desquels l’œuvre de Meyer et Schaerf s’articule – Tableau (art, esthétique), Drapeau (signe d’identité nationale) et Bateau (une référence à l’histoire de l’art, mais également un signifiant contemporain dépourvu de référent) – qui symbolisent le parcours de l’esthétique au politique, en référence évidente et explicite à l’œuvre Un voyage en mer (1973) du Nord de Marcel Broodthaers. On relève ici le passage de la technologie à la peinture, une allégorie en cours de transition qui n’est pas sans rappeler la constellation de Widmann.

Ce modèle de scénario théâtral rappelle les peintures de Silke Otto-Knapp, où l’artiste met en exergue les étapes de leur conception. Conçus comme des lieux allégoriques qui laissent transparaître leur dimension artificielle, ses dessins et peintures de paysages s’inscrivent dans les catégories modernistes et postmodernistes de planéité et de surface, lesquelles démentent leur caractère intrinsèquement scénographique. La série de dessins incarne alors un système de permutations au sein duquel les œuvres se créent en performant le processus de leur (propre) représentation. En associant le genre du paysage à des environnements littéraires, chorégraphiques ou cinématographiques, la démarche d’Otto-Knapp définit les images comme des lieux en corrélation avec l’espace d’exposition. Ce type de topologies se retrouve également dans des œuvres qui font implicitement allusion au lieu de production artistique en tant que tel (l’atelier, le studio d’enregistrement ou de cinéma, l’avant-scène) ainsi qu’aux espaces publics et privés (la rue, la cuisine, le bureau, etc.) et qui constituent des terrains (symboliques) d’expérimentation : voir notamment Actualité (2002) de Mathias Poledna, Ontological Rehearsals (2011) de Hanako Geierhos, Screens (Sans titre, 2008) de Heimo Zobernig et Ditch Plains (2013) de Loretta Fahrenholz.

Le processus de la répétition donne lieu à des exercices répétitifs qui permettent aux sujets de désapprendre des interactions, conventions et schémas donnés : « Les gens ne savent pas comment jouer. Allongez-vous. Allongez-vous et cessez de faire comme si vous saviez jouer. » (Fahrenholz). Que se passe-t-il si quelqu’un joue un rôle différemment, en désactivant les lois établies ? Ici, l’interrelation des méthodes et des sujets avec les nouvelles technologies devient visible, attestant ainsi de l’imbrication des rôles sociaux et fictifs dans l’expérience collective. Chez Geierhos, la combinaison de formes minimalistes, d’accessoires scéniques et de dispositifs fonctionnels ainsi que les relations entre les objets et les sujets se présentent comme une organisation rythmique d’éléments individuels au sein d’ensembles dynamiques (voir Galerie Ellen et SBC).

Dans ce parcours qui va du studio d’enregistrement au studio d’artiste puis à la boîte noire en tant que modèle culturel face à/contre son utilisation/exploitation courante, la zone frontalière entre la production et le produit, entre le studio et l’espace d’exposition devient un lieu d’essais et d’erreurs, d’(auto-) observation et d’(auto-) évaluation.

Le « guide pratique » de Judith Barry For when all that was read was… so as not to be unknown (2012) se présente comme une construction architecturale en papier proposant une nouvelle cartographie des narrations associatives et de la nature labyrinthique du « cerveau ». Sous la forme de deux affiches pouvant se replier en deux petits polyèdres à la manière d’un origami, l’œuvre configure un espace abstrait contenant différentes possibilités et modalités de production artistique. Les livres d’artistes rassemblés par Foell sous le titre my brain (2014-2016) témoignent d’un jeu similaire entre les médiums (dessin, peinture et écriture), qui met également l’accent sur les interactions entre la recherche, l’expérimentation, les objets trouvés et le hasard pour (trans-) former la constitution commune des contenus, des formes et des méthodologies. Parallèlement à leur fonction de « scripts » pour des tableaux et des installations, les carnets d’esquisses peuvent être lus et vus comme des objets indépendants – un phénomène qui caractérise Scriptings d’Achim Lengerer, un projet continu de publication de magazines qui sont à la fois le support d’un travail collectif de lecture et d’écriture ainsi qu’un médium pouvant être considéré comme un objet éphémère (voir Galerie Ellen). Abordant des sujets et des stratégies méthodologiques provenant de divers domaines (art, littérature, film, théorie, politique, science et technologie), le processus éditorial crée un scénario similaire à celui des répétitions, au cours duquel les participants (qu’ils soient actifs ou spectateurs) adoptent et interprètent des rôles changeants. Ici, Scriptings#46, un catalogue, en tout cas non raisonné et incomplet (2016) remplace les textes de présentation habituels. Utilisant une reproduction de La Répétition (1874) – un des célèbres tableaux d’Edgar Degas où il dépeint une répétition de danse – Klaus Scherübel a conçu un objet calendrier La répétition (Prototype), VOL. 24 (2016) qui correspond aux dates individuelles des trois expositions à la Galerie Leonard & Bina Ellen, à SBC galerie d’art contemporain et à VOX, centre de l’image contemporaine. Puisque chaque page du calendrier renvoie à un mois différent, il représente un objet à la fois autonome et fonctionnel.

When the Guests Are Not Looking (2016) de Richard Ibghy & Marilou Lemmens se compose d’une série de répétitions éphémères et invisibles d’une performance portant sur le personnage du dialogue dans Le Neveu de Rameau (1762-1777) de Denis Diderot. Ces performances se déroulent en dehors des heures d’ouverture de galeries et ne sont accessibles que par le biais d’une publication. Tandis que l’interprète fantôme d’Ibghy & Lemmens, dont l’existence même est incertaine, répète littéralement dans le hors-espace institutionnel, Marie Claire Forté et Alanna Kraaijeveld (en dialogue avec Sophie Bélair Clément) rendent visible un ensemble de coordonnées grâce auxquelles nous devenons témoins du travail des interprètes, dont les corps traversent l’histoire de la chorégraphie dans des répétitions non annoncées intitulées Répétitions de Collections de danses de Christian Rizzo, Gene Kelly et Stanley Donen, Édouard Lock, William Forsythe, Merce Cunningham, Saburo Teshigawara, Trisha Brown; Jeffrey Daniel, Michael Jackson et Vincent Patterson, Mats Ek, Dana Michel; Dana Foglia, Chris Grant et JaQuel Knight, Crystal Pite, Pina Bausch, Lloyd Newson, Tedd Robinson, Hofesh Shechter, Bob Fosse, Anne Teresa de Keersmaeker, Daniel Linehan, Amanda Acorn, Jiři Kilyán, Akram Khan, Stijn Celis, Deborah Hay, Liz Santoro et Pierre Godard, Marie Claire Forté, Meg Stuart et Philipp Gehmacher et autres (2016).

Combinées à la publication Scriptings d’Achim Lengerer, ces performances se déroulent dans et autour des trois espaces, reliant ainsi les trois scénarios de l’exposition La répétition mise à l’épreuv_e dans une seule constellation complexe de _répétitions.

Programme de films | Du 2 septembre au 3 novembre 2016

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