VOX — Centre de l’image contemporaine

Réactivation de l'exposition Room 901 d'Irene F. Whittome
Crédits

Irene F. Whittome
Room 901

2013.01.25 - 09.03

Irene F. Whittome. Room 901 : 1982, 1983, 2013

MARIE J. JEAN

Room 901 est une vaste entreprise qui a conduit Irene F. Whittome à travailler deux années consécutives dans son atelier pour y réaliser une œuvre qui fera l’objet d’une documentation systématique. Au terme de ce travail, plus de 1500 photographies, un film 16 mm, des boîtes-maquettes ainsi que trois expositions ont été réalisés. Trente ans plus tard, Room 901 fait l’objet d’une réflexion sur les modalités de réactivation d’une intervention spécifique tout en offrant l’occasion d’examiner le statut variable d’une œuvre, de sa documentation et de ses expositions.

Au cours de l’été 1980, Irene F. Whittome finalise une série d’installations qu’elle expose au Musée des beaux-arts de Montréal. Son atelier est alors vide et elle entreprend la réalisation de Room 901. Tout le matériel qui s’y trouvait est accumulé dans un coin restreint, les murs de briques et les colonnes sont repeints en blanc. L’espace est préparé à la manière dont un peintre apprête sa toile avant de l’enduire de pigments. L’atelier de la rue Saint-Alexandre devient alors le support d’une intervention spécifique qui se transformera d’octobre 1980 à juillet 1982. Son intervention sur le lieu sera pour l’essentiel picturale bien qu’elle soit complétée par des arrangements d’objets. Elle peint une forme sur le mur adjacent aux fenêtres voûtées, laquelle semble dans toutes les étapes de sa modification tendre vers le motif de la croix : un carré noir sur fond blanc, une bande blanche sur fond gris, un carré blanc sur fond gris, une croix tronquée sur fond blanc et, au final, une croix noire sur fond blanc. Ce vocabulaire formel élémentaire rappelle immédiatement les recherches picturales de Kazimir Malevitch bien que les déterminismes en soient différents. Whittome reproduit des formes minimales qu’elle soumet à des transformations quotidiennes, pendant plus de six cents jours, tout en les documentant sous différentes variations lumineuses. Le film tout comme les centaines de photographies documentent le temps que l’artiste a ainsi passé à travailler dans son atelier. Mais contrairement à ce que la méthode de documentation annonce, les images ne montrent pas le processus de réalisation – où l’œuvre se présenterait dans un état non résolu ou encore inachevé – puisque, bien au contraire, elles sont produites pour documenter des compositions picturales successives, toutes abouties.

Journal VOX, n°41

En 1982, invitée par le Musée d’art contemporain de Montréal à reconstituer Room 901 dans le contexte de l’exposition collective Repères, Irene F. Whittome choisit plutôt d’exposer ce qui en résulte dans trois différents lieux : le film 901 / le 4 juillet 1982 est présenté dans le monte-charge du musée; sept tirages photographiques de la série Saint-Alexandre (1980-1982) et vingt-deux boîtes de la série La Gauchetière (1980-1982) sont installés à la Galerie Yajima à Montréal; son atelier de la rue Saint-Alexandre sera ouvert au public1; enfin, un communiqué sera produit, reliant les trois événements simultanés. Cette fragmentation dans trois destinations aux fonctions distinctes (l’atelier, la galerie commerciale, le musée) rend ainsi compte de trois moments dans la vie d’une œuvre (sa production, sa commercialisation, son institutionnalisation). Une année plus tard, en 1983, l’artiste présente Room 901 dans un contexte institutionnel en qualifiant cette nouvelle exposition de « Re-enactment2 ». Jacqueline Fry écrit à ce propos dans le catalogue accompagnant l’exposition : « Les espaces neutres de l’Alberta College of Art Gallery vont recueillir la mémoire d’un lieu que le public n’aura pas exploré dans son aspect définitif, mais les indices de son aventure esthétique seront là3 ». L’artiste comme l’auteure portent déjà en 1983 notre attention sur les enjeux entourant la réexposition et la remédiation auxquels Room 901 a été soumise depuis sa conception en 1980.

On ne peut exposer le non-représentable – le contexte historique, esthétique, institutionnel et subjectif dans lequel l’œuvre (ré)apparaît à chaque fois –, mais on peut, au mieux, faire figurer des traces, des indices de ce qu’ils ont été. Cela, il est vrai, prend généralement forme dans l’appareil documentaire qui accompagne une exposition, mais il faut de plus élaborer des stratégies pour rendre présent dans l’expérience de l’œuvre ce processus de visualisation et d’historicisation du passé. Irene F. Whittome écrivait d’ailleurs dans le communiqué qui accompagnait Room 901 au moment de sa première exposition : « La présentation publique de Room 901 met un terme à deux années de recherche et quatre d’occupation de ce local 901. Ces œuvres font partie intégrante des travaux et de toute la documentation, qui, dans leur ensemble, composent la suite Room 901 ». Au risque de la contredire, j’ajouterais que Room 901 doit comprendre, en outre, toutes les traces et les indices qui rendent compte de ses expositions successives de manière à lui ré-affecter de nouvelles connaissances et de nouveaux récits qui contribuent sans cesse à la (re)production de son histoire. La présente exposition, placée métaphoriquement sur un socle, souhaite ainsi interroger et rendre visibles les processus par lesquels une œuvre est ainsi réactualisée.

La Galerie Simon Blais, Occurrence, espace d’art et d’essai contemporains ainsi que VOX, centre de l’image contemporaine vous convient à un événement en trois lieux qui vous fera découvrir des corpus d’œuvres peu connus d’Irene F. Whittome. Les éditions du passage procéderont à cette occasion au lancement d’une monographie de l’artiste, réalisée en partenariat avec VOX, centre de l’image contemporaine.

AFTERMATH
SIMON BLAIS, DU 16 JANVIER AU 23 FÉVRIER 2013

CLAUDINE ROGER

À la fin des années 1970, Irene F. Whittome délaisse la fabrication de formes en papier moulé pour la cire qui deviendra un de ses matériaux privilégiés. Elle recouvre des objets trouvés, des constructions de cartons et de planches d’encaustique (pigments colorés mêlés à de la cire et à de la térébenthine). L’utilisation de cette lente technique d’application jumelée à un processus naturel (les volumes encaustiqués étaient exposés à la lumière du jour) permettront à l’artiste d’atteindre des textures et des couleurs rappelant la patine du temps et de figer, par un processus de stratification, différentes expériences vécues dans le passé, le présent et le futur. En 1980, l’artiste intensifie l’utilisation de l’encaustique et des pigments de couleur puis réalise une nouvelle série de tableaux-objets. Constituées d’agglomérations de papier, de portes, de panneaux et de cartons recouverts de cire et de pigments noirs et blancs, ces pièces intitulées Encaustics ont été présentées à la Galerie Yajima, Montréal en 1980 puis intégrées à la réexposition de Room 901 à l’Alberta College of Art, Calgary en 1983; elles seront à nouveau exposées avec une sélection d’œuvres de la série Room 901 à la Galerie Simon Blais dans le cadre de l’exposition Aftermath.

BESTIAIRE
OCCURRENCE, DU 19 JANVIER AU 2 MARS 2013

MONA HAKIM

Cet impressionnant corpus d’œuvres aux figures biomorphiques et archétypales s’inscrit dans la lignée de ses dessins de facture expressionniste, produits entre les années 1963 et 1967. Ces tableaux saisissants par leur très grand format vertical, leurs couleurs et textures exacerbées, leur iconographie sauvage et agressive et par les gestes que l’on devine exaltés de la peintre nous ramènent non seulement à une période importante d’apprentissage de l’acte créatif chez Whittome, mais à un moment révélateur dans le parcours de l’artiste et l’évolution de son œuvre. Ces corps mi-hommes, mi-animaux plus grands que nature, au squelette cambré et aux extrémités palmées, sortes d’insectes terrifiants, nous plongent dans un univers troublant, de nature à la fois archaïque et mythologique. Le corpus exceptionnellement méconnu de Bestiaire, composé d’une quinzaine de tableaux dont huit de très grande dimension et d’une série de portraits, n’a jamais été présenté dans son entier et fait ici l’objet d’une exposition inédite à Occurrence.

  1. La composition est finalisée en juillet et restera dans cet état jusqu’en octobre 1982. Cette décision d’ouvrir l’espace de l’atelier au public peut sembler paradoxale si on la met en relation avec la production filmique et photographique qui en propose la médiation. Mais il ne faut pas s’y tromper, si Irene F. Whittome ouvre ainsi son atelier, c’est pour permettre aux publics d’expérimenter, au sens phénoménologique, l’intervention picturale dans son site de production.

  2. Jacqueline Fry, Irene Whittome, 1980-82, Calgary, Alberta College of Art Gallery, 1983, p. 33.

  3. Fry, op. cit., p. 19.