VOX — Centre de l’image contemporaine

Marcel Duchamp_, La Boîte verte_, 1934, 93 documents (photos, dessins, notes des années 1911-1915) et 1 planche. Avec l’aimable permission de Bill Vazan. Crédit : Michel Brunelle.
Crédits

Marcel Duchamp
La Boîte verte

2008.11.06 - 12.13

Entreprise de conservation d’une pensée fulgurante

MARIE JOSÉE JEAN

Ouvrir la Boîte verte, c’est accéder à quatre-vingt-treize notes, esquisses, documents – souvent de simples bouts de papier –, qui ont servi de support aux idées et conjectures menant à la conception d’une des œuvres les plus fascinantes du XXe siècle : La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. « Chaque fois qu’une idée me venait », précise Marcel Duchamp, « je la notais sur papier, je la faisais mijoter. Comme ça pendant huit ans. Pas toute la journée, vingt minutes par-ci, vingt minutes par-là. Mais huit ans quand même »1. Cette entreprise de Marcel Duchamp – déterminée par sa volonté de donner préséance à la dimension conceptuelle du travail artistique – est un long processus qui ne s’achève pas avec la parution de la Boîte verte en 1934. Elle inaugure une ère où l’idée fera désormais œuvre.

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Les Notes ont ainsi pris une importance majeure dans la conscience de Marcel Duchamp et, dès 1914, il eut l’idée d’en produire le fac-similé : « J’ai voulu les restituer aussi exactement que possible. J’ai donc fait lithographier toutes ces pensées avec la même encre que les originaux. Pour trouver des papiers absolument identiques, j’ai dû fouiller les recoins de Paris les plus invraisemblables. Il a fallu ensuite découper trois cents exemplaires de chaque litho, à l’aide de patrons de zinc que j’avais taillés sur le pourtour des papiers originaux. C’était un gros travail et j’ai dû embaucher ma concierge… »2. Ce souci du détail et du mimétisme visait à conserver l’état originel dans lequel les pensées lui étaient advenues. Il manifeste la préoccupation constante de Marcel Duchamp de rassembler son œuvre et de la préserver.

Marcel Duchamp a entrepris la production de La Mariée en 1915 mais elle ne fut pas terminée avant 1923, date à laquelle il l’abandonna à son état d’inachèvement. Les Notes qu’il a rédigées tout au long de son exécution, explique-t-il, étaient « destinées à compléter l’expérience visuelle comme au moyen d’un guide »3. Mais il ne faut pas s’y tromper, la part de mystère contenue dans l’œuvre est maintenue dans les Notes. Ces dernières ont toutefois le mérite de pratiquer des ouvertures dans l’esprit du lecteur-spectateur sans jamais en épuiser les secrets. Car la découverte des secrets de La Mariée dépend de la capacité de celui qui cherche à poser les énigmes dans une logique comparable à celle de son concepteur. Cette logique trouve ses fondements dans le sémantisme spatial de Stéphane Mallarmé, dans la pensée mécanique de Raymond Roussel tout comme dans l’espace-temps en quatre dimensions d’Henri Poincaré.

C’est donc avec plaisir que VOX ouvre la Boîte verte à ses publics en rendant accessible une œuvre célèbre bien que peu connue et dont l’exposition offre une belle occasion d’échanger et de discuter des enjeux. Sa présentation n’aurait pu se concrétiser sans que Bill Vazan, artiste et collectionneur passionné, n’en consentît le prêt. Nous lui en sommes reconnaissants.

  1. Entretien avec Otto Hahn (1964) cité par Françoise Le Penven, L’art d’écrire de Marcel Duchamp. À propos de ses notes manuscrites, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 2003, p. 18

  2. Entretien avec Michel Sanouillet (1954), op.cit., p. 45.