VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition _Michael Blum. Guerre et paix_, VOX, 2014. Photo : Michel Brunelle.
Crédits

Michael Blum
Guerre et paix

2014.02.07 - 04.12

Depuis le début des années 1990, Michael Blum élabore une œuvre où se pose la question de l’Histoire dans son rapport aux récits construits, recomposés et réinscrits dans le présent. Il s’intéresse à des histoires ou à des personnages oubliés, parfois controversés – la rencontre de Hitler et de Wittgenstein à Linz, l’influence de la féministe Safiye Behar sur Mustapha Kemal Atatürk, premier président de la République de Turquie – qu’il matérialise sous la forme du musée, du monument ou du documentaire. Sa méthodologie est celle de l’investigation et repose sur de vastes recherches réalisées dans des contextes culturels et politiques variés.

Guerre et paix, la nouvelle exposition de Michael Blum, comprend une installation et un film qui relatent la cavale du célèbre criminel français Jacques Mesrine au Canada à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ponctué d’entretiens d’où émerge une mémoire vivante et collective, le film retrace les activités de Mesrine à Montréal et en Gaspésie sous la forme d’un récit aux accents de cinéma-vérité.

Bien que cette figure importante du gangstérisme moderne ait fait l’objet de nombreux ouvrages et films, son activité au Canada demeurait, jusqu’à aujourd’hui, négligée.

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WILL STRAW

L’histoire du passage de Jacques Mesrine au Québec, de 1968 à 1972, circule dans la mémoire populaire sous une forme fluctuante et de manière épisodique. Le séjour de Mesrine ici a été ponctué de braquages de banque, d’un enlèvement, d’évasions et de libérations de prison, d’une fuite aux États-Unis et d’un procès pour meurtre en Gaspésie. Avec le temps, la séquence de ces événements s’est brouillée, les fils qui les reliaient entre eux se perdant facilement dans le tourbillon dramatique d’une période souvent considérée comme l’âge d’or du banditisme au Québec. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les voleurs-aventuriers de la trempe de Mesrine, qui ne travaillaient qu’avec une poignée de complices, ont en grande partie pris la place des organisations criminelles « professionnelles » qui caractérisaient la criminalité au Québec dans les années 1940 et 1950. Mesrine est débarqué au Québec l’année suivant la mort de Monica la Mitraille, tuée par balles à la suite de braquages spectaculaires dans la région de Montréal. Comme Bonnie et Clyde, les sujets d’un des films les plus populaires de 1968, Monica la Mitraille et Jacques Mesrine allaient devenir des héros populaires à une époque où voler et fuir la justice en était venu à représenter la révolte de la jeunesse.

Pendant les années où Mesrine séjourne au Québec, les tabloïds consacrés aux affaires criminelles comme Allô Police et Photo Police sont remplis de photographies sinistres de repaires de criminels en banlieue de Montréal et de photos d’identité judiciaire de malfaiteurs, surtout des hommes blancs, qui lentement adoptent les cheveux longs et les favoris portés par les figures de la contre-culture qui dominent alors la culture populaire. C’est également une période où le crime et la politique s’enchevêtrent de plus en plus, au Québec comme partout ailleurs dans le monde. Le braquage devient, pour les mouvements politiques clandestins tels que le Front de libération du Québec, un moyen de financer leur cause. Dans les prisons comme l’Unité spéciale de correction de Laval, dont s’est évadé Mesrine en 1972, les revendications des personnes incarcérées en faveur d’un meilleur traitement et de meilleures conditions d’internement se rattachent aux mouvements plus vastes visant la réforme des prisons. Il devient difficile, au début des années 1970, de tracer une ligne précise entre crime et révolution.

Cavale au Canada, le film de Michael Blum qui est au cœur de l’installation Guerre et paix, revient sur plusieurs des sites et espaces-clés liés au passage de Jacques Mesrine au Québec. Certains de ces espaces, comme l’appartement de la rue Sherbrooke Est ou la grande maison de banlieue à Mont-Saint-Hilaire que Mesrine a occupés en 1969, sont décrits, dans des comptes rendus ultérieurs de sa vie, comme des lieux au luxe moderne. Aujourd’hui, ils nous semblent cependant peu attrayants et glauques. Nous ne sommes pas certains, par contre, si cette différence d’opinion est l’expression de notre snobisme à l’égard des aspirations de l’homme de classe moyenne inférieure qu’était Mesrine ou d’un changement généralisé des goûts des gens depuis les années 1960. De toute manière, ces constructions modernes, tout comme les bars et les motels conçus pour accueillir les touristes à Percé, où Mesrine s’est refugié par la suite, sont remplies d’espoirs et d’ambitions déçus, ce dont le film rend très bien compte.

Comme d’autres films récents de Michael Blum, Cavale au Canada suit un récit biographique qui résiste à une intelligibilité totale des vies et des événements. La narratrice se présente comme étant la fille illégitime de Mesrine à la recherche de la vérité sur son père. Le film nous entraîne à Percé, en Gaspésie, où nous faisons la rencontre des gens de la place, qui vont nous fasciner, mais autrement que par leurs liens avec des événements remontant à près d’un demi siècle. Les entrevues, qui occupent presque les deux tiers du film, nous font découvrir les accents locaux et les expressions de la région. En soi, ces longues conversations offrent leurs propres petits plaisirs et présentent un intérêt intrinsèque. Nous savourons la manière dont les résidants plus âgés de Percé racontent leur histoire, en des termes qui semblent à la fois fraîchement improvisés et peaufinés à force de répétition. Comme spectateurs, nous élaborons nos propres théories concernant le meurtre de la propriétaire de motel Évelyne Le Bouthillier – meurtre dont a été accusé Mesrine, mais dont il a été finalement acquitté.

Bien que la vie de Mesrine ait été racontée à plusieurs reprises, sous forme de livres et de films, Guerre et paix de Michael Blum est la première œuvre à livrer cette histoire d’un point de vue québécois. Le séjour de Mesrine au Québec a marqué certains lieux et laissé son empreinte sur certains souvenirs personnels, son insolent esprit de rébellion étant en phase avec les sensibilités politiques et culturelles dominantes d’ici.