Les années musicales : 1920-2020
2020.08.18 - 2020.10.31
- Notes
Vidéoclips
Mark Abramson & Edward Dephoure, Laurie Anderson, Associates in Science, Ellis Bahl, Steve Barron, Brian Beletic, Robert Bleyer & John Moffitt, Blue Source, Bucko & Tucko, David Byrne, Peter Care, Jake & Dinos Chapman, Gaëtan Chataigner, Roman Coppola, Martin Creed, Chris Cunningham, Dave Davies & Ray Davies, Jonathan Demme, Xavier Dolan, James Frost & OK Go & Syyn Labs, Kevan Funk, Romain Gavras, Kevin Godley & Lol Creme, Michel Gondry, Jerome Guiot & Paul van Haver, Winston Hacking, Jörn Heitmann, Tim Hope, Yves Jacques, Matt Johnson, Stephen R. Johnson, Spike Jonze, Kahlil Joseph, Emily Kai Bock, Kevin Kerslake, Daniel Landin, André Leduc, Robert Longo, David Mallet, M.I.A., Mike Mills, Jean-Baptiste Mondino, Russell Mulcahy, Hiro Murai, Tony Oursler, D. A. Pennebaker, Roy Pike & The BOX, Bill Pope & Randy Skinner, Mark Romanek, Ladislav Rychman, Keith Schofield, Stéphane Sednaoui, Jon Small, Cho Soo-hyun, Walter A. Stern, Corinne Stübi, Roland Stutz, Jan Švankmajer, Trabant, Matthew Vachon, Chad VanGaalen, William Wegman, Dougal Wilson.
MARIE J. JEAN
Au siècle dernier, à la suite de l’invention du cinématographe, se sont succédé diverses technologies qui ont favorisé la synthèse du son et de l’image. Les orgues à couleurs, le théâtre optique, ou encore le sonchromatoscope, combinant projections et musiques, en sont des exemples précurseurs. Mais ce sera par l’entremise du cinéma, lorsque la musique se verra synchronisée avec l’image, que ce champ d’expérimentation se renouvellera, de façon radicale. Cette exposition permet d’observer les mutations de cette production audiovisuelle à partir d’œuvres cinématographiques et musicales, où s’exerce une tension relative entre image et musique. En effet, le plus souvent, la relation entre l’une et l’autre relève de la subordination : ou bien la production visuelle relaie la musique à un rôle secondaire, ou bien l’image est utilisée pour illustrer une composition musicale.
L’intention de cette exposition est d’offrir une expérience spatiale et musicale de ces œuvres produites depuis cent ans, tout en engageant les publics dans une réflexion sur ce processus de visualisation de la musique et de musicalisation des images. Des artistes actuels y côtoient des cinéastes de l’avant-garde, dans un parcours incluant des films muets sonorisés, du cinéma abstrait et expérimental, des vidéoclips, en plus de performances musicales. Une série de films d’animation complète ce programme, spécialement conçu pour les enfants1.
Voir de la musique et entendre des images
Cette analogie entre la musique et l’image n’est pas étrangère aux recherches menées par les peintres de l’abstraction qui ont cherché, dès les années 1910, à traduire les impressions harmoniques, rythmiques et polyphoniques dans leurs compositions abstraites. Pourvu d’une « audition colorée », Vassily Kandinsky percevait des sensations chromatiques en entendant des sons, associant, par exemple, le jaune au grondement fort d’une trompette ou le vert à la sonorité méditative du violon. Le compositeur Alexandre Scriabine créera l’opus 60, Prométhée ou Le poème du Feu (1911), fondé sur de telles équivalences synesthésiques. Écrite pour un grand orchestre avec piano soliste et chœurs mixtes, l’œuvre était animée par un clavier à lumières – le Luce inventé pour cette occasion –, dont chacune des touches activait un faisceau de lumière colorée. Ce spectacle chromatique, pour le moins insolite à l’époque, a été élaboré à partir d’un système d’équivalence harmonie-couleur, établi par le compositeur. Informés de ces recherches, Viking Eggeling et Hans Richter imaginent, quant à eux, un « cinéma absolu », où les formes abstraites enregistrées sur la pellicule filmique fonctionnent à la manière d’une partition susceptible d’évoquer des sensations musicales. Les titres de leurs premiers films abstraits, tous deux muets, Symphonie diagonale (1924) et Rhythmus 21 (1921), suggèrent ainsi la traduction en image des effets dynamiques du contrepoint, du rythme ou des harmoniques. Tournée image par image, la symphonie d’Eggeling se décline en différents « mouvements » de formes blanches et lumineuses sur un fond noir qui, dans sa technique, s’apparente au dessin d’animation, comparable aux expérimentations menées à sa suite par Oskar Fischinger et Norman McLaren2. Dans le film abstrait An Optical Poem (1937), Fischinger a filmé des cartons colorés, image par image (stop motion), qu’il a ensuite synchronisés avec la seconde Rhapsodie hongroise de Franz Liszt. La présence de la musique vise à convoquer des images mentales, indique un texte en avant-propos de son film, qu’il présente d’ailleurs comme une expérimentation scientifique en vue d’offrir une traduction visuelle de ces images. Si la superposition des formes et leur mouvement dans la profondeur permettent à Fischinger de dépasser la deuxième dimension, Norman McLaren exploitera, pour sa part, une abstraction géométrique réduite à des bandes verticales aux couleurs vives, ponctuées de formes tout aussi minimalistes et, selon toute évidence, inspirées du groupe des Plasticiens québécois. McLaren innove alors dans la recherche sonore avec Synchromie (1971), en dessinant des sons synthétiques et en les photographiant sur la pellicule de manière à exposer un parallélisme absolu entre le son et l’image3. Le cinéma abstrait inspiré du dessin d’animation sera aussi exploré par René Jodoin, collègue de McLaren à l’Office national du film du Canada, qui réalise, en 1984, Rectangle et rectangles, un film optico-cinétique qui est produit avec les moyens qu’offre désormais le numérique. Au même moment, en 1983, Gaston Sarault imagine une étonnante expérimentation musicale sous la forme d’un film d’animation intitulé Écoutez Voir. Cet exercice didactique montre trois séquences visuelles – toujours la même –, bien que chaque fois, une nouvelle trame musicale lui est associée, transformant le caractère expressif des formes abstraites qui s’animent à l’écran. Force est d’admettre que les occurrences sonores du film Écoutez Voir influencent et transforment les images, produisant de nouvelles significations.