They Became Myth
Images en mouvement du Vietnam
À venir
2025.12.09 - 12.13
MARY LOU DAVID
En réunissant des œuvres vidéo de Lena Bui, Nguyen Trinh Thi, Arlette Quynh-Anh Tran, Thao Nguyen Phan, Tuan Andrew Nguyen et Phan Anh, They Became Myth explore la construction et la transmission des mythes au sein des sphères historiques, culturelles, politiques, spirituelles et personnelles. Ces œuvres interrogent les mécanismes de la narration, de la passation et de l’oubli liés à la création des mythes tout en dialoguant avec différentes facettes du Vietnam, passées ou contemporaines.

Si l’on conçoit les mythes comme monolithiques et fondateurs – de temps et de lieux lointains – les œuvres de ce programme montrent non seulement que ceux-ci continuent de nous impacter, mais aussi qu’ils sont constamment réagencés. Ils apparaissent aussi aisément qu’ils peuvent disparaître, en emportant avec eux les souvenirs ou identités dont ils sont porteurs. L’image en mouvement se veut donc un support allégorique qui dépasse la simple narration, étant capable de générer de nouvelles formes de mémoires et de transmissions.
Notre voyage commence avec Kindred de Lena Bui. Nous dérivons au fil de l’eau, à travers des paysages profondément marqués par l’empreinte humaine, tandis que des narrateur·trices invisibles s’expriment dans diverses langues surgissant d’un inconscient écologique. Ces voix de plantes, de rochers et de rivières sont celles d’une terre qui se perd, à mesure que spiritualités animistes et traditions orales sont remplacées. Bien que l’histoire de nos écosystèmes soit oubliée, leur mémoire restera préservée dans le sol dans l’attente d’une réincarnation.
Une réflexion semblable sur l’oubli traverse Letters from Panduranga de Nguyen Trinh Thi. À la fois essai visuel et film documentaire, ce portrait du peuple Cham révèle comment des civilisations autrefois établies peuvent se dissoudre au point de sombrer dans la légende. Leur place fluctuante au sein de l’identité nationale souligne que la réduction à l’état de mythe ouvre un espace de contestation, en particulier lorsque les traces culturelles et physiques d’un peuple risquent l’effacement.
Fascinée par les utopies issues de la Guerre froide et les façons dont les mythologies nationales sont (ré)écrites ou abandonnées, Arlette Quynh-Anh Tran inspire avec son travail la section du programme où mythe, idéologie et politique s’entrecroisent. Mêlant passé et futur et combinant esthétique rétrofuturiste et montage proche du roman-photo, The Curator Ghost met en lumière la façon dont le mythe perpétue l’identité nationale, même si sa restructuration continuelle finit par nous faire oublier ses origines.
Becoming Alluvium offre un contrepoint poétique en explorant les mythologies du paysage et de la narration. Dans le delta du Mékong, le fleuve est à la fois un vecteur du capitalisme mondial et un espace légendaire nourri par les récits de réincarnation et la tradition orale. Les contes khmers et les échos littéraires – de Duras à Tagore – montrent combien le récit façonne notre imagination collective d’un lieu. Dans son dialogue avec la littérature, Thao Nguyen Phan illustre que les légendes perdurent à travers les mots, même quand les contrées dont ils parlent se métamorphosent.
Si le mythe peut prendre vie dans les récits et les paysages, il peut aussi se manifester dans l’action. The Boat People de Tuan Andrew Nguyen se déroule sur deux plans narratifs : une fable futuriste où des enfants, derniers survivants de l’humanité, traversent les ruines de civilisations disparues ; et un paysage bien réel, celui de Bataan, marqué par la colonisation, la guerre et l’exil. En réinterprétant la fonction des objets qu’ils découvrent, ces enfants deviennent faiseurs de mythes. Ils reconstruisent l’histoire pour se comprendre. Leur rituel, reproduire ces objets avec du bois avant de les brûler et de les libérer, rappelle que les rites, les mythes et les souvenirs sont aussi des outils de survie et d’appartenance.
Bien qu’elles soient souvent ignorées, les mythologies familiales n’en demeurent pas moins universelles. Portrait de la grand-mère maternelle de l’artiste Phan Anh, the most romantic walk mêle esthétique DIY, archives, photos personnelles, interviews et images de guerre. Présentée séparément dans une salle plus intime, cette biographie se déploie sur fond d’une histoire vietnamienne marquée par la guerre et les divisions idéologiques, mais aussi à travers des moments de tendresse et de partage. L’œuvre donne une place au microrécit face à l’histoire officielle tout en montrant que les récits familiaux perpétuent des valeurs, apaisent les traumatismes et forgent notre identité collective. Ce qui est transmis, ici, ce n’est pas une idéologie, mais des vérités humaines.
Les mythes ont beau avoir une résonance universelle, ils dépendent néanmoins de nos gestes de remémoration et de transmission. Les six artistes activent ces processus et dévoilent combien la vidéo, où s’entrelacent mémoire et imagination spéculative, est génératrice de mythologies. Créer ces œuvres devient un acte de mémoire collective propre à ancrer les différentes histoires du Vietnam dans le temps.