Monique Moumblow
Compositions | Pale Shadows
2019.11.01 - 2020.02.29
La quête du sujet
NICOLE GINGRAS
Auteure vidéaste ou vidéaste auteure, Monique Moumblow élabore des récits simples, en apparence, où l’ellipse joue un rôle de premier plan. Laconiques, ses œuvres cernent des espaces de fiction déroutants dans lesquels l’attente, la suspension du temps, l’absence, le vide, le silence incitent à regarder de plus près. Chez elle, l’écriture est cruciale1. Les idées qu’elle intériorise et avec lesquelles elle cohabite sont, de toute évidence, portées par les mots. L’artiste confie : « Cette manière de penser, c’est comme écrire dans ma tête2. » Chaque idée obéit à un processus complexe d’associations, ponctué d’interrogations et d’hésitations. Leur fragilité et leur mobilité trouvent leur forme, chaque fois, au plus près d’une réalité tangible – paradoxe au cœur même des œuvres réunies dans l’exposition _Compositions | Pale Shadows. Ainsi, la force d’attraction et le pouvoir de dissolution qu’exerce un lieu naturel sur des individus s’expriment dans _Rehearsal (2019) d’une manière à la fois littérale et radicale. La bande sonore greffée à un plan fixe d’un coin de salon aux allures vieillottes dans John’s Death (erased) (2019) agit comme antidote à l’occultation d’un décès. Une phrase tatouée dans la mémoire d’une jeune femme se dilue progressivement dans sa répétition en boucle dans Not Funny (erased) (2019). L’emprise d’une maison sur l’imaginaire de ses occupants engendre certains comportements aberrants dans I’m going to throw you in the sea and then you will drown, even though you are already dead (2019). Avec 1970 – Sans paroles (2014), la lecture d’un texte majeur de la poésie québécoise par son auteure, Michèle Lalonde, est détournée3 pour mettre en tension expressions du visage, respirations et silences dans une œuvre que Monique Moumblow qualifie de « texte sans mots ». Avec Charles (2012), la singularité d’un individu est révélée par la relation incarnée qu’il entretient avec son milieu familial. En apparence anodine, l’action de Pillow (erased) (2019) évoque un jeu d’enfants qui, en se répétant, laisse poindre une fin paradoxale.
La réserve perceptible dans les récits des œuvres de Monique Moumblow depuis ses débuts continue d’étonner. S’agit-il pour l’artiste d’un processus de condensation propre à une écriture poétique, d’une discrétion ou d’un détachement envers ce qu’elle souhaite partager ? Écrire non pas pour exposer des faits, mais pour en abstraire la dimension narrative ou en esquiver l’affect, ne serait-ce que momentanément. L’auteure vidéaste amorce ainsi une forme subtile de détournement du contenu vers lequel elle tourne sa caméra. Écrire avec un souci d’effacement. La vidéaste auteure pousse encore plus loin cette notion de retenue dans laquelle elle excelle en l’abordant de manière matérielle et technique. En effet, John’s Death, Not Funny et Pillow de la série erased nous plongent dans un état de curiosité dubitative, déclenchée respectivement par la transformation d’une musique, d’une phrase ou d’une action se répétant jusqu’à l’épuisement complet, grâce à un processus d’extinction progressive du son et de l’image4. Bien que chaque œuvre de cette série s’appuie sur un même principe de prélèvement continu, la singularité du matériau initial engendre toutefois trois œuvres distinctes sur les plans narratif, symbolique et expérientiel. De plus, chacune fait l’éloge de la boucle de manière magistrale, tout en proposant une métaphore lucide d’un processus de création. Nous sommes témoins et invité.e.s à faire l’expérience d’un présent qui se renouvelle à l’infini tout en s’estompant sous nos yeux. L’inachevé d’un fragment ou l’anéantissement en direct d’une scène filmée côtoient l’immensité d’une vision mélancolique.
Familière avec le texte Speak White et son contenu politique, Monique Moumblow s’intéresse aux pauses et aux silences entre les mots prononcés par Michèle Lalonde. Sensible à ces pauses à peine perceptibles et s’interrogeant sur la portée de ces silences, qui se mesurent en secondes ou en fractions de seconde, elle les isole, les assemble et les étire dans une vidéo dévoilant une femme sur le point d’exprimer une pensée politique et identitaire. Monique Moumblow nous offre ici une œuvre forte, énigmatique et révélatrice d’une attention à ces détails ou ces petites différences que personne d’autre ne remarque – ces télescopages entre passé et présent suggérant une forme de polysynchronicité. À propos de 1970 – Sans paroles, l’artiste écrit : « En regardant le film d’origine (et non pas mon montage), je peux saisir une certaine signification du poème, je peux avoir une idée du contexte historique, du lieu, ou du moment, mais il y a toujours quelque chose qui me semble flottant / non fixé / inaccessible. Quand je regarde mon montage avec une fraction de seconde de sons qui ponctue l’image silencieuse, ça me semble être une affirmation de l’indéfini5. »
1970 – Sans paroles occupe une place pivot dans la vidéographie de l’artiste : première vidéo créée à partir de matériel qu’elle n’a ni filmé ni enregistré6, elle préfigure également les œuvres de la série erased par ce principe d’extraction explicité précédemment. De plus, elle réactive non seulement la présence du fantomatique, mais aussi la fascination de Monique Moumblow pour la manière avec laquelle les paroles cernent une limite entre le corps, l’espace, le silence et le vide – aspects essentiels de la récente installation I’m going to throw you in the sea and then you will drown, even though you are already dead.
Ralentir le temps pour le retenir, capter la transparence d’un corps pour révéler sa mobilité, s’attarder à un geste ou à une phrase, sonder les silences pour les dénouer sont autant de stratégies privilégiées par l’artiste pour se rapprocher du lieu de l’écriture et de la mémoire.